Après la guerre de 1914-1918 : en 1919, suppression de la neutralité de la Savoie
et de ses zones franches, ainsi que des manuels d’histoire de la Savoie
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Guerre de 1914-1918
– enrôlement en 1914
– suppression, en 1919, de la neutralité de la Savoie et de ses
zones franches, ainsi que des manuels d’histoire de la Savoie
[…]
La loi de 1905 sur la conscription avait instauré un service militaire
obligatoire de deux ans pour tous les citoyens français. Les Savoyards furent
soumis à ce service militaire à visées offensives, en dépit du statut de neutralité
helvétique interdisant de les envoyer guerroyer hors du territoire de la Savoie. En
1914, pour tourner cette disposition, tous les Savoyards en âge de porter les
armes, donc en train d’accomplir leur service militaire, furent consignés dans leurs
casernes deux jours avant la déclaration de guerre. Puis ils furent envoyés au
front, et l’article 2 du traité d’annexion trahi. On raconte, en Savoie, le sort de ces
mères savoyardes éplorées qui brandissaient des documents prouvant que leurs
fls n’avaient pas à partir pour cette guerre de 1914. Les recruteurs français
demandaient alors à voir ces papiers et, une fois qu’ils les avaient en main, les
déchiraient sous les yeux de ces mères en disant quelque chose du genre : « Et
voilà, y a plus de preuve, on embarque le fls ! »… Malheureusement, on n’a pas
encore retrouvé de récits écrits sur ces faits.
[…]
On n’en a pas trouvé non plus sur les récits suivants :
– Récit du petit-fls d’un Savoyard du nord de la Savoie, parti faire la guerre en
1914. Ce petit-fls tient ce récit de son propre père, auquel son grand-père avait
raconté les faits. Aux yeux de ce jeune homme, le fait que son père, strictement
pro-français, lui ait raconté – une seule fois – les étranges faits liés à l’enrôlement
des Savoyards, est une preuve que cette histoire est vraie. Il pense que son père,
mort entretemps, a été étonné et interpellé par la façon dont la France bien-
aimée, admirée et profondément respectée, a traité les Savoyards pour les
contraindre à une guerre à laquelle ils n’auraient pas dû participer, parce que leur
pays, la Savoie (les deux-tiers nord de la Savoie), était neutre.
Les recrues savoyardes de 1914, raconte-t-il, furent rassemblées à Lyon. Là,
elles furent attachées deux par deux par l’épaule, au niveau du vaccin-polio
précise-t-il, sous le prétexte qu’elles n’aillent pas se perdre dans la grande ville de
Lyon ; ou qu’elles risquent de faire une mauvaise chute, ce qui est curieusement
paradoxal pour des hommes habitués à la montagne, qui ne craignaient sûrement
pas de mourir d’une chute de trottoir de grand ville ! La vraie raison, c’est clair,
c’était pour que ces braves soldats ne se mettent pas à prendre la poudre
d’escampette, au cas où l’un ou plusieurs d’entre eux, avisés que, en tant que
Savoyards (ou Savoisiens), ils n’avaient pas à être mobilisés sous le drapeau
français, fassent part aux autres de cette bonne nouvelle. En effet, les accords de
l’annexion stipulaient que les Savoyards (particulièrement ceux du nord) ne
devaient combattre que pour la défense de leur pays de Savoie, et que même
dans ce cas-là, c’était la Suisse qui devait remplir cette mission de défendre la
Savoie. La Suisse devait en effet occuper la Savoie du nord, jusqu’au lac du
Bourget y compris, en cas de confit, pour défendre cette zone neutralisée lors des
traités de 1815 (Congrès de Vienne). Mais en 1914, la Suisse s’est montrée très
frileuse sur ce cas-là, ainsi que l’estime ce jeune Savoyard.
Bref, conclut ce petit-fls dont le grand-père a vécu ces faits, attacher les
recrues savoyardes par l’épaule était moins humiliant que par le poignet comme on
le ferait d’un voleur. Il suppose, ajoute-t-il, que c’est par le poignet que la France a
attaché les Africains et autres coloniaux lorsqu’elle les a mobilisés. Et si la France a
traité un peu différemment les Savoyards, bien que colonisés eux aussi, c’est
parce qu’ils sont blancs et capables de parler français !…
– Récit et lettre en possession d’un agriculteur savoyard, du Chablais, décédé
depuis. Un jour, alors que l’un des amis de son fls, un jeune Suisse habitant les
environs, se trouvait à la ferme, ce paysan savoyard très fdèle à la France, lui
montra une lettre. Ils étaient seuls dans la grande cuisine familiale de la ferme.
C’était la lettre qu’une recrue savoyarde avait écrite à sa famille pour lui raconter
comment s’était passé l’enrôlement, et dans laquelle il s’étonnait de la façon dont
les Savoyards avaient été attachés deux à deux et conduits ainsi, comme du
bétail, rejoindre des régiments. La lettre lue, l’agriculteur chablaisien ajouta que
cette lettre avait été montrée à un historien de renom, le professeur Paul
Guichonnet, qui n’a pas nié les faits, mais, pour défendre l’attitude de la France
envers les Savoyards, qui les a commentés en rigolant, disant que les Savoyards
avaient été attachés pour leur éviter de tomber dans une crevasse lorsqu’ils
allaient rejoindre l’armée française.
– Récit émanant de différents Savoyards du centre de la Savoie. Les Savoyards,
surtout ceux du nord et du centre, savaient qu’ils n’avaient pas à entrer dans la
guerre de la France contre l’Allemagne, car leur pays (tout le nord de la Savoie
jusqu’au sud du lac du Bourget) avait été neutralisé par les traités issus du
Congrès de Vienne en 1815. Les recruteurs français savaient cela eux aussi. C’est
pourquoi, dans plusieurs villages – d’où les récits identiques provenant de divers
endroits – les recruteurs français organisèrent des fêtes où le vin coulait à fot.
Lorsque les jeunes Savoyards étaient ivres à ne plus savoir où ils se trouvaient, ils
étaient charriés sur des chars et attachés – pour ne pas tomber assurément !? Le
lendemain matin, dégrisés, loin de chez eux, ils étaient contraints d’enfler
l’uniforme et étaient envoyés au front.